Je me suis régalée avec cette anthologie comprenant 10 textes sur une thématique originale se résumant à « Nu sur le balcon ».
La première « L’inconnue du cinquième » de Jean-Pierre Andrevon est vraiment bien fichue. Au début le narrateur, Michel Ceccaldi, visite un appartement, celui où il a sans doute vécu pendant sa jeunesse. Il doit le vendre mais ne s’y résous pas. Des souvenirs remontent à la surface de son esprit. Un petit pactole le décide à garder le logement en ville. Tandis qu’il se prélasse sur le balcon, il est témoin d’une scène qui le fascine : une femme apparait sur un autre balcon, au même étage que le sien, situé dans l’immeuble d’en face. Il pense qu’elle se fait agresser. Commence alors l’envie de la sauver des griffes de l’homme qui apparemment l’ennuie. Il téléphone à la Police qui lui envoie deux personnes… Bien évidemment, les investigations au numéro supposé de l’immeuble et de l’appart d’en face ne donnent rien. On ne le croit pas. La suite surprend et la fin possède ce retournement que l’on n’avait pas prévu. Du grand art. Un peu à la manière de Julio Cortázar que j’admire.
2) In Vinylo Veritas de Bruno Pochesci décrit à sa manière très imagée le parcours d’Alan piégé par une suite de sons et mots incompréhensibles (le Däw Krkt), précédée d’une figure féminine qui le poursuit à certains moments jusqu’à le forcer à s’évanouir. On se demande bien sûr pourquoi, c’est très malin. Tout commence pour lui 42 ans plus tôt quand il fait connaissance de Noreen… Il passera son temps à essayer de comprendre dans l’hôtel où Les légionnaires d’Hadrien, des fans de son ancien groupe l’ont invité pour une convention collective retraçant cette période bénie au travers d’une collection de vinyles des Hadrian’s Wall, groupe d’Alan. Se méfier de ce gentil groupe de frappadingues. Il va aussi y avoir une nue sur un balcon… Et beaucoup de choses délirantes. À lire sans modération.
3) Black Star de Pierre Brulhet est peut-être l’une des nouvelles qui m’a le moins enthousiasmée. De facture classique, elle partait pourtant bien et m’intriguait au début avec cet étranger recueilli par l’inspecteur de police car il avait été découvert nu sur son balcon. Je n’ai pas bien compris l’acharnement de la police à son encontre car il n’avait rien fait de mal à ce stade de l’histoire. Ensuite on apprend qu’il y a eu un meurtre (une cantatrice) à l’appartement où il se trouvait… Soit, mais quand même, la manière peu respectueuse du flic m’a choquée. L’assistante policière va être fascinée par cet étranger qui veut aller à l’opéra… La fin bizarre, ne m’a pas convaincue.
4) L’œuvre des spectres, Fabien Clavel. L’histoire se passe dans un théâtre national de l’Opéra car un crime semble avoir été commis. La cantatrice, Mlle de Vrocourt n’est pas réapparue sur scène laissant sa doublure tenir son rôle jusqu’à la fin de la représentation. Un certain Ragon, commissaire doit enquêter et interroger le directeur. La loge recèle des bizarreries et on apprend le vrai caractère de la diva. La lecture des revues que lisait la défunte donne une piste sérieuse à Ragon. Une écriture agréable et une histoire originale. Relire le fantôme de l’opéra peut être un plus pour bien comprendre la fin « théâtrale ». Du paranormal.
5) Le soldat blanc, Xavier Deutsch. Une atmosphère particulière plane sur cette prose aux mots et phrases comme mises à plat. Le style de l’auteur accroche tout de suite. Exemple : « Cet homme se prénomme Gilbert. Il a cinquante-et-un an. Je connais peu d’hommes de cet âge portant ce prénom, Gilbert.
Je ne rencontre pas de plaisir à écrire ce prénom. Pas de déplaisir non plus. Gilbert n’a pas choisi de s’appeler comme ça, moi non plus je n’ai pas choisi. Je prends les événements tels qu’ils surviennent… »
Voilà, il y a une simplicité et en même temps une angoisse qui monte en lisant ce texte, comme une ritournelle. Les faits d’une banalité déconcertante cachent quelque chose de malsain. Et nous allons découvrir un personnage pas si sympathique que cela au final. Le fond et la forme coïncident à merveilles. Ce qu’il sera amené à faire surprend, puis aura son explication que je trouve d’une pertinence infinie. Merci pour la découverte de cet auteur que je ne connaissais pas et bravo à lui pour avoir mis en lumière toute la noirceur de l’âme humaine en des mots pourtant si simples.
6) Témoin indésirable, Hélène Duc. L’écriture très élégante de l'auteur permet de bien prendre possession des lieux de l’intrigue et du personnage principal, James, inspecteur à la retraite. On songe à « Fenêtre sur cour » lorsqu’il se met à espionner l’immeuble d’en face avec un télescope à infra-rouge et qu’il découvre le voisin sur son balcon nu et le visage en sang ! Sa voix intérieure lui commande de se bouger. L’humour de ces répliques rythme agréablement les scènes. La suite est assez déroutante, mais on suit le retraité en ayant mal pour lui. L’auteur excelle à retranscrire la montée d’adrénaline puis la souffrance physique. Fin surprenante. Très bon moment de lecture avec des références à des films culte, ce qui m’a particulièrement plu.
7) Curiosité de balcon, J.B. Leblanc. Une écriture au cordeau pour une nouvelle époustouflante. La curiosité est un vilain défaut et ça Vincent s’en rappellera toute sa vie ! Le début se focalise sur un couple qui revient de courses, tranquillement jusqu’à ce que le jeune homme se fige, hypnotisé par ce qui se passe au-delà de leur baie vitrée. Un corps nu allongé sur un balcon derrière des vitres le subjugue à tel point qu’il ne bouge pas, mais ensuite sera tenté d’y aller voir de plus près. Les échanges avec sa femme sont savoureux car elle ne veut pas s’en mêler au début puis va se prendre au jeu. La fin, très bien amenée nous fait entrevoir toute la fourberie humaine.
8) Le seul ami, Daph Nobody. Le « point de vue » de Ralph Battler, jeune garçon solitaire devient un jeu de chat et de souris. Lui qui n’a pas d’ami s’est créé un monde à part, en se distrayant tous les samedis soir lorsque ses parents partent dîner en ville. Il observe à l’aide de ses jumelles, la vie qui se déroule à l’extérieur, attendant quelque chose qui va le distraire. Ce soir-là, un homme qu’il a appris à connaître, Paul Rubinek, un huissier de justice, s’introduit chez Lize. Oui, Dalph connait toutes les histoires des voisins en les observant et en les suivant. Celle-ci trompe son mari avec ce Paul, mais le mari, Bob revient à l’improviste, alors qu’il travaille de nuit dans la sécurité. Paul se retrouve coincé et nu sur une corniche entre deux fenêtres essayant de rejoindre le balcon. Sadique, l’enfant lui enverra des jets de cailloux car sa deuxième passion est le lance-pierre. La conclusion amenée en flirtant avec le fantastique est très intéressante et pose pas mal de questions au sujet de ces actes cruels du côté du gamin mais aussi du côté de l’adulte. Qui est le plus monstrueux ? Belle histoire d’amitié à postériori très bien écrite et crédible.
9) La Tordue, Camille Adler. L’histoire qui a pour cadre la Traviata se passe dans un Opéra où une cantatrice, Victoria F. a été retrouvée morte. Pas très surprenant comme cadre puisque d’autres nouvelles du recueil se passent dans ce lieu ou avec une chanteuse, mais superbement retranscrit. On assiste à des échanges entre le directeur, monsieur Letellier et Willems, l’inspecteur. On reste sur sa faim au bout de l’enquête. C’est un parti pris ou bien le mystère se rattache à Violetta, personnage central dans la Traviata.
10) Alan 2.0, Nicolas Pages. Un golden boy d’une société sur le déclin aimerait de refaire une virginité ou tout du moins contrôler mieux sa vie qui jusque-là n’était que débauches, faux-semblant, vide… Sa femme l’ayant quitté, emmenant son fils avec elle, fut le déclic. Belle introspection de ce type peu sympathique. Il gagne à être aimé et fera tout pour aider son prochain, suite à ce qu’il aperçoit sur le balcon de l’immeuble d’en face. Sa curiosité l’entraînera loin. J’ai bien aimé l’idée et cette fin que je n’avais pas vu venir ^^.
Conclusion : je vous encourage à vous procurer ce recueil, au titre prometteur et aux nouvelles envoûtantes. (pour 17 €)
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