Ce roman édité chez Verticales est quand même vertigineux, d'une écriture insolite.
Jamais je n'ai lu de phrases aussi longues et personne ne conseille à un écrivain ce genre de descriptions interminables, ainsi qu'une absence totale de dialogues ... vous avez bien lu ! Il y a des personnes qui se rencontrent et à aucun moment n'apparait un
- ( avec une parole prononcée )
C'est un sacré challenge ! On dirait que l'auteur s'est donné plusieurs défis ... allonger le plus possible ses phrases et surtout ne pas écrire de dialogues ... des pensées, oui, des traits en plein milieu d'une phrase " ...,et s'était tourné vers lui, glaciale tu permettras quand même que je garde la voiture ? - , il redemande, criant cette fois, c'est combien le maximum ? Summer a repris sa place dans les rangs, messagère de Diderot ; on paye. Les gars ayant appris la nouvelle, certains forment une file pour récupérer du cash - et parmi eux Katherine Thoreau, Soren Cry, Duane Fisher et Buddy Loo, les Indiens -, tandis que les autres se dirigent vers les vestiaires, perplexes. Summer et Sanche se tiennent côte à côte : et nous ? on va être payés ou pas ? C'est Sanche qui a parlé en opérant de petits mouvements de bascule sur les talons pour se dresser sur la pointe des pieds. Tout le monde, Summer sourit, tout le monde va prendre sa thune et rendez-vous dans trois semaines."
Comment dire : l'ensemble est assez froid mais ça fonctionne et on se laisse entraîner dans ce tourbillon de mots et d'ambiance lourde. On se demande s'il ne va pas y avoir du grabuge, il y en a ... pas assez à mon goût entre la communauté indienne et les " envahisseurs" ( ceux qui construisent le pont sur des Terres Indiennes ). J'aurai aimé qu'un cartel de la drogue vienne s'en mêler et empêcher cette anomalie ( un pont au milieu d'une végétation foisonnante, de la beauté sauvage ... très bien montrée. Une aberration, ce pont.
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Voici la quatrième de couverture :
" A l'aube du second jour, quand soudain les buildings de Coca montent perpendiculaires à la surface du fleuve, c'est un autre homme qui sort des bois, c'est un homme hors de lui, c'est un meutrier en puissance. Le soleil se lève, il ricoche contre les façades de verre et d'acier, irise les nappes d'hydrocarbures moirées arc-en-ciel qui auréolent les eaux, et les plaques de métal taillées en triangle qui festonnent le bordé de la pirogue, rutilant dasn la lumière, dessinent une mâchoire ouverte. "
Ce livre part d'une ambition à la fois simple et folle : raconter la construction d'un pont suspendu quelque part dans une Californie imaginaire à partir de destins croisés d'une dizaine d'hommes et femmes, tous employés du gigantesque chantier. Un roman-fleuve, " à l'américaine", qui brasse des sensations et des rêves, des paysages et des machines, des plans de carrière et des classes sociales, des corps de métier et des corps tout court.
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Autre extrait : le début
Au commencement, il connut la Yakourie du Nord et Mirney où il travailla trois années. Mirney, une mine de diamants à ouvrir sous la croûte glaciale, grise, sale, toundra désespérante salopée de vieux charbon malade et de camps de déportés, terre déserte baignée de nuit à engelures, cisaillée onze mois l'an d'un blizzard propre à fendre les crânes, sous laquele sommeillaient encore, membres épars et cornes géantes bellement recourbées, rhinocéros en fourrur, bélougas laineux et caribous congelés - cela il se l'imaginait le soir attablé au bar de l'hôtel devant un alcool fort et translucide ,la même pute subreptice lui prodiguant mille caresses tout en arguant d'un mariage en Europe contre loyaux service mais jamais ne la toucha, pouvait pas, plutôt rien que baiser cette femme qui n'avait pas envie de lui, il s'en tint à ça. Les diamants de Mirny, donc, il fallut creuser pour aller les chercher, casser le permafrost à coups de dynamite, forer un trou dantesque, large comme la ville elle-même - on y aurait plongé tête en bas les tours d'habitation de cinquante étages qui y poussèrent bientôt totu autour -, et, muni d'une torche frontale, descendre au fond de l'orifice, piocher les parois., excaver la terre, ramifier des galeries en une arborescence souterraine latéralisée au plus loin, au plus dur, au plus noir, étayer les couloirs et y poser des rails, électrifier la boue, alors fouir le glèbe, gratter la caillasse et tamiser les boyaux, guetter l'éclat splendide. Trois ans.
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J'aime bien aussi les pages 127/128 : ce sera pour la prochaine fois si vous n'avez pas eu d'indigestion à la lecture de ces extraits !