Pour moi cet écrivain est un monde sans limite où il fait bon se promener, surtout dans cet ouvrage : Le tour du jour en 80 mondes parut chez Gallimard en 1980 ( 4 ans avant sa mort ). Les éditions Gallimard qui fêtent leur centenaire aurait du penser à cet auteur qui dit-on refusa les honneurs, lui l'homme de gauche. Il soutenait la Révolution Cubaine mais là n'est pas mon propos.
J'admire sa façon de penser et d'écrire car j'ai la même approche. Il n'a pas de méthode, il se laisse porter par une sorte d'écriture automatique proche des surréalistes ( André Breton, par exemple, qui préconise de rêver éveillé, de favoriser les rencontres avec le hasard, donc d'échappper à la pensée cartésienne)
Voici ce qu'il écrit page 179 du " Tour du jour ... ":
Dans le cas de mes contes ...la ligne verbale démarre sans aucune pensée préalable, il y a comme une énorme coagulation, un bloc entier que est déjà le conte, cela est parfaitement clair bien que cela puisse paraître parfaitement obscur ...De toute façon, ...dans mon cas ..., je pars du bloc informe et j'écris une chose qui devient un conte cohérent et valable.. La mémoire, certainement traumatisée par une expérience vertigineuse, garde en détail les sensations de ces moments-là et me permet de les rationnaliser ensuite... Il y a la masse qui est le conte ( mais quel conte ? Je ne le sais pas et je le sais, tout cela est vu par quelquechose en moi qui n'est pas ma conscience mais qui vaut plus qu'elle en cette heure hors du temps et de la raison).... page 181 : " Je me rappelle le matin où Une fleur jaune m'est tombée dessus : le bloc amorphe était la vague idée d'un homme qui rencontre un adolescent qui lui ressemble et a l'intuition aveuglante que nous sommes immortels. J'écrivis les premières scènes sans la moindre hésitation mais je ne savais pas ce qui allait arriver, j'ignorais complètement le dénouement de l'histoire. Si quelqu'un m'avait dit alors : " à la fin l'homme empoisonnera Luc", j'aurai été stupéfait. Et à la fin ,effectivement, l'homme empoisonne Luc, mais cela arriva comme tout ce qui précèdait, comme une pelote qui se déroule à mesure que l'on tire le fil ; la vérité, c'est que dans mes contes il n'y a pas le moindre mérite littéraire, le moindre effort.
Pour moi aussi il en a été ainsi. Dans Le piano maléfique, je suis partie d'un rêve / cauchemar : le voyage scolaire qui se termine mal, le bus ne pouvant poursuivre sa route car celle-ci n'existait plus, la nuit qui tombe à 5 heures de l'après-midi, la traversée d'un village-fantôme, le château qui surgit de nulle part , les odeurs de sang, le maître du château qui acceuille les enfants avec les adultes pour les enfermer, l'enfermement, la fille restée dans le bus qui vit des phénomènes bizarres surtout le temps qui s'accélère, des gens qui la frôlent, qui émettent des sons alors qu'ils n'apparaissent pas en chair et j'ai brodé autour de ces flashs, une histoire de pianiste/vampire absorbant l'énergie humaine grâce à son jeu de piano ( tantôt lent , ralentissant le temps, tantôt rapide précipitant les jours en minutes et les années en jours, cela le faisant rajeunir )sans du tout, entrevoir une fin. Il fallait que je déroule la pelote pour arriver à l'inspecteur qui enquête ... etc. Petit à petit le roman prenait forme.
Il y a tant à dire sur Julio Cortazar qu'il me faudrait plusieurs articles pour en faire le tour ! Le tour de 80 mondes ! Alors à bientôt pour savourer des textes tour à tour philosophes, espiègles...
Celui-ci pour réfléchir ( page 283 ):
Des choix insolites
Il n'est pas convaincu.
Il n'est pas convaincu du tout.
On lui a proposé au choix une banane, un traité de Gabriel Marcel, trois paires de chaussettes en nylon, un percolateur garanti, une blonde aux moeurs élastiques, la retraite avant l'âge, et pourtant il n'est pas convaincu.
Sa réticence attise l'insomnie de quelques fonctionnaires, d'un curé et des flics de l'arrondissement.
Comme il n'est pas convaincu on commence à se demander s'il ne devrait pas faire l'objet d'une interdiction de séjour.
On lui a laissé entendre comme ça, gentiment.
Il a dit : " Dans ce cas, je prends la banane."
On se méfie, c'est tout naturel.
Il aurait été bien plus rassurant qu'il prenne le percolateur, ou au moins le blonde.
C'est quand même étrange qu'il ait choisi la banane.
On envisage de revoir la situation depuis le début.