Ce texte très fort est bien sûr de Julio Cortazar, ou plutôt IL figure dans le recueil de textes regroupés dans ce merveilleux manuscrit sorti en 1980, chez Gallimard : Le tour du jour en quatre-vingts mondes
( Attention, les vers sont ainsi tronqués par l'auteur, je ne fais que retaper exactement pareil que sur l'édition Gallimard, en espérant que je ne serai pas poursuivie ! )
Il fut le premier à m'accuser de
Sans preuves et peut-être à son corps défendant, mais il y avait ceux qui
On sait bien que dans un village perdu parmi
Le temps pèse immobile et que rarement
gens qui vivent de fils de la Vierge, de lentes
Ils ont peut-être du coeur mais quand ils parlent
De quoi pouvait-il m'accuser, nous avions seulement
Impossible que le simple dépit, après cette
( La pleine lune peut-être, la nuit où il m'emmena à
Mordre en amour ce n'est pas si étrange, surtout lorsqu'on a
j'avais gémi, c'est vrai, et à un moment j'ai pu
Après, nous n'avons pas parlé, lui il avait l'air fier de
Ils ont toujours l'air fier de nous faire gémir mais alors
Le souvenir change avec la haine qui suit la
car pendant ces nuits-là nous nous aimions plus fort que si
Sous la lune, dans les sables mêlés qui sentaient le
(Je l'ai mordu, c'est vrai, mais mordre en amour ce n'est pas si
Il ne m'en a jamais rien dit, attentif seulement à
Je parfumais mes seins aux herbes que ma mère
Et lui, la joie du tabac dans sa barbe et tout le
Jamais il n'a plu quand nous allions à la rivière mais parfois
Un mouchoir noir et blanc qu'il me passait lentement pendant que
Nous nous donnions des noms d'animaux tendres, d'arbres qui
Il n'y avait pas de fin à cet interminable commencement de
(Je l'ai mordu lorsque cloué en moi il me
Nos voix, à un moment, toujours se mélangeaient et
Cela aurait pu durer comme le ciel vert et dur au-dessus de mes
Pourquoi, puisque embrassés nous soutenions le monde contre
Jusqu'à ce qu'une nuit, je m'en souviens comme d'un clou dans
la langue, je sentis
Oh ! la lune sur son visage, cette caresse morte sur une peau qui avant
Pourquoi oscillait-il, pourquoi son corps s'affaissa-t-il comme si
- Tu es malade ? Viens te mettre à l'abri, je vais te
Je le sentais trembler comme de peur, de brume, et quand il m'a regardée
Mais mains le tissaient de nouveau, cherchant le battement, le tambour
chaud, et aussi
Jusqu'à l'aube, je fus l'ombre fidèle et j'attendis que de nouveau
Mais vint une autre lune, nous nous sommes rejoints et j'ai compris que
désormais
Et lui, il tremblait de colère, il arracha ma blouse comme
Je l'ai aidé, je fus sa chienne, je léchai le fouet espérant que
J'imitai le cri et la plainte comme si sa chair, pour de vrai
(Je ne l'ai plus mordu, mais j'ai gémi et supplié pour lui donner un
Il put croire à nouveau, il se dressa avec le sourire du début lorsque
Mais en partant il trébucha, je le vis se retourner, ce rictus sur
Seule chez moi, j'attendis ,les bras autour de mes genoux jusqu'à ce que
Le premier à m'accuser ce fut
(Je l'ai mordu c'est vrai mais mordre en amour
Et maintenant je sais que le matin où l'on me
Le coeur lui manquera pour approcher la torche des
C'est un autre qui le fera pour lui et lui, de sa maison,
Les volets entrouverts qui donnent sur la place où
Je regarderai jusqu'au bout ces volets pendant que
Je le mordrai jusqu'à la fin, mordre en amour ce n'est pas si
Voilà ce texte finit ainsi et laisse l'imagination filer
Je ne sais pas si vous éprouvez le même malaise que moi à lire ces lignes, distillé par ces phrases en suspens.
Pour moi : du grand art !